Depuis l’arrivée au pouvoir de la droite, les prostituéEs ont été la cible privilégiée des forces de police. Et le vote de la Loi pour la sécurité intérieure1 (LSI) de Sarkozy qui, sous couvert de lutte contre la traite et le proxénétisme, a mis en place une véritable chasse légale contre les travailleurSEs du sexe. Les prostituées africaines du bois de Vincennes, qui subissent encore aujourd’hui cette violente répression, se sont mobilisées au sein d’un collectif pour mieux se défendre et faire valoir leurs revendications. Rencontre avec Marianne, membre de ce collectif.
Dans quel contexte avez vous créé le collectif et avec quels objectifs ?Nous avons créé ce collectif qui regroupe les prostituées africaines du bois de Vincennes à l’occasion de la mobilisation du 15 mars 2005, une journée organisée par l’association Femmes publiques a réuni des associations et des prostituéEs pour faire un état des lieux des conséquences de la LSI et demander son abrogation immédiate. organisée à l’Assemblée Nationale pour le deuxième anniversaire de la LSI. Notre objectif en allant à cette journée était de nous faire connaître, de témoigner de la répression que nous subissons quotidiennement depuis plus de deux ans, d’exprimer notre voix comme les prostituées blanches de Vincennes ont pu le faire auparavant. Nous voulons nous intégrer et obtenir le droit de travailler, ne serait-ce que quelques heures, afin de gagner un peu d’argent. Nous travaillons à Vincennes depuis plusieurs années, 7 ou 8 ans pour certaines d’entre nous. Nous le faisons d’abord par nécessité économique. Pour la journée du 15 mars, nous avions préparé un tract qui expliquait notre démarche et nos revendications : nous sommes noires, nous demandons à être respectées car nous faisons partie de la population française. Nous nous sentons chez nous ici car la plupart d’entre nous ont la nationalité française, d’autres non mais toutes sont en situation régulière. Cette journée était l’occasion de nous exprimer par nous-mêmes, de participer à un débat qui nous concerne. D’habitude, nous restons en retrait et certains en déduisent que nous ne faisons pas partie de la population et de la vie active. C’est faux, nous voulons nous intégrer. Notre participation à la journée nous a permis de nous faire connaître auprès des autres associations. Notre discours a été entendu et nous avons même été ovationnées. Désormais, nous savons que nous pouvons travailler avec d’autres associations et collectifs et qu’ils nous aideront dans nos démarches. Après cette journée du 15 mars, une mobilisation se met-elle en place ?
Le Syndicat de la Magistrature nous aide régulièrement dans nos démarches et nous permet de mieux connaître nos droits. Il y a aussi le collectif « Femmes de droits, droits des femmes » qui nous soutient. De même que le Bus des Femmes qui vient régulièrement dans le bois pour nous donner des préservatifs ou quand nous avons besoin d’un rendez-vous auprès d’une autorité, avec ou sans les prostituées blanches; Alors Claude Boucher[[Directrice du Bus des Femmes.]] nous aide à l’obtenir. Quand une fille est arrêtée, les associations nous donnent les coordonnées d’un avocat. Un réseau d’entraide s’est mis en place depuis mars dernier, mais ce n’est pas encore suffisant. Certaines associations restent frileuses, parce qu’elles ont peur d’être montrées du doigt. J’ai entendu dire à l’Assemblée que des associations ne veulent plus venir sur le terrain pour distribuer du matériel de prévention par peur d’être arrêtées par la police ou d’être accusées de faire proxénétisme, parce que la distribution de préservatifs serait considérée par les flics comme une incitation à la prostitution. Comment s’exerce la répression ? Quelles sont les techniques employées par la police ?
Nous sommes littéralement submergées de contraventions. Très souvent, ils ne respectent pas les délais légaux. Ils nous donnent une amende de 35 euros puis immédiatement celle de 90 euros[[La première amende correspond à une verbalisation pour stationnement interdit, la seconde pour refus d’obtempérer.]]. C’est ainsi que nous cumulons 3 000 ou 4 000 euros d’amende sur plusieurs mois. Pour payer ces sommes, nous avons mis en place un système de tontine pour le remboursement des amendes. La police s’appuie systématiquement sur l’interdiction du racolage pour nous harceler. À chaque fois, ils nous mettent des procès-verbaux pour ce motif et prétendent que nous arrêtons les clients en faisant des signes de la main ou des appels de phare. Mais c’est faux. Quand la fille n’est pas dans la cabine de son camion, ils s’arrêtent pour vérifier si elle est à l’arrière. Et si la voiture du client est garée près de la camionnette, ils frappent à la porte et hurlent en accusant la fille de faire du racolage. Ils exigent de rentrer immédiatement dans le camion. Une fois à l’intérieur, ils emmènent le client à quelques mètres et lui demandent de témoigner contre la prostituée. S’il accepte, alors les flics dressent un procès-verbal pour racolage. S’il refuse, les flics le menacent d’aller le dénoncer à sa femme. Heureusement, certains clients résistent. Ils expliquent qu’ils connaissent la fille depuis longtemps ; ils sont donc venus d’eux-mêmes sans être racolés. Dans ce cas, la police abandonne et s’en va. Mais elle n’oublie jamais de nous mettre une amende de 135 euros.
Les gardes à vue de 72 heures sont fréquentes. Et celles qui travaillent de nuit sont régulièrement placées en garde à vue de 24 heures. Il est fréquent que les policiers menacent la personne : ils lui disent qu’en cas de nouvelle arrestation ils lui interdiront de travailler dans tel ou tel endroit. Quand on arrive devant le juge, on lui donne notre version des faits et c’est laissé à son appréciation. Parfois il abandonne les poursuites et nous laisse rentrer chez nous. Il nous remet également une liste des associations que nous devons contacter pour trouver un travail et arrêter la prostitution. Mais si tu les contactes, tu vas attendre pendant un mois, trois mois avant que l’association ne te trouve un emploi. Et pendant ce temps, tu manges quoi ? En fin de compte, tu es obligée de retourner au bois pour gagner un peu d’argent. A chaque fois, le camion est confisqué par le juge. Je n’ai plus le mien depuis septembre 2004, alors je tapine à pied. Avant que la LSI ne soit votée, la police mettait nos camions à la fourrière. Ils faisaient cela tous les jours pendant 8 ou 10 mois. Il fallait payer 135 euros pour la fourrière, puis une autre amende de 35 pour récupérer le camion. Quand la loi a été votée, ils ont changé de technique et se sont mis à nous arrêter systématiquement. Dans quelles conditions se déroulent les arrestations et les gardes à vue ?
C’est très brutal. Les policiers se comportent comme des voyous et ils nous insultent. Il est très fréquent que nous soyons fouillées avant même la garde à vue, dès que l’on entre dans le panier à salade. Et là, il arrive souvent que ce soit des hommes qui fassent les fouilles au corps alors que c’est illégal. Ils en profitent pour nous toucher, nous mettre les doigts dans les fesses. Les policières ne sont pas mieux. L’une d’entre elles est très agressive avec nous. Lors des gardes à vue, il est fréquent qu’on nous refuse un verre d’eau ou d’aller aux toilettes. Nicolas Sarkozy prétendait que sa loi cherchait à punir les proxénètes et les réseaux. En réalité, elle nous a transformées en délinquantes. Contre un tel arsenal policier, quelles forces pouvons-nous opposer ? Aucune. La police est toujours plus forte. Elle devrait nous protéger, en réalité elle nous pourchasse. Toute cette répression excite la haine. Je ne connais aucune prostituée, qu’elle soit blanche ou noire, qui ne peut dire qu’elle ne hait pas la police. Le collectif a essayé de trouver un compromis avec la police qui vous aurait permis de travailler à certaines heures à des endroits bien précis ?
Oui, on a essayé de négocier ça, mais ils n’ont rien voulu entendre. Une prostituée blanche a eu un rendez-vous avec Villepin quand il était encore à l’Intérieur. Nous ne savons pas tout ce qu’il a dit, excepté qu’il prétendait ne pas être au courant que la répression était si forte à notre égard. De notre côté, nous avons eu un rendez-vous avec la préfecture. Nous leur avons demandé de participer aux réunions du conseil de sécurité de Vincennes, mais sans succès. On a essayé de négocier et de nous faire discrètes. Malgré cela, la police continue de nous harceler. Crois-tu que la police s’en prend plus particulièrement aux prostituées étrangères et notamment africaines ?
Oui, c’est certain. La situation est plus difficile pour nous que pour les prostituées blanches. C’était vrai également pour celles des pays de l’Est, mais elles ont été chassées depuis et on ne les voit plus. On ne sait pas où elles sont allées, certaines sont parties sur les nationales, en Province. La plupart d’entre elles étaient dans des réseaux que l’USIT[[Unité de soutien aux interventions territoriales, crée spécifiquement pour l’application de la LSI]]. cherchait à démanteler. Et il faut arrêter de mentir : aujourd’hui, dans le bois de Vincennes, il n’y a plus une seule femme qui se prostitue pour un réseau ; il n’y a plus de maquerelles ou de filles rackettées. Toutes les prostituées qui travaillent aujourd’hui dans le bois de Vincennes sont exclusivement indépendantes, qu’elles soient noires ou blanches. Mais nous ne sommes pas plus de 50. La police a complètement vidé le bois, et pourtant la répression continue. Quelles sont les conséquences de la répression sur vos conditions de travail ?
Elles se sont beaucoup dégradées. Nous sommes obligées de faire très vite, il faut dire au client de se presser. Cela a entraîné une baisse des tarifs. Et puis, quand on va trop vite, il arrive que le préservatif éclate.
Il faudrait réglementer la prostitution, car si j’arrête cela n’empêchera pas d’autres de le faire. Je connais des collègues blanches qui ont 50, 60 ou 70 ans et qui n’ont aucune retraite. La prostitution est leur unique revenu. Un jour, une femme de 68 ans, et qui était diabétique, allait être embarquée par les flics. Je leur ai dit de m’emmener à sa place parce que j’étais plus jeune et en meilleure santé. Ils ont refusé et m’ont dit : « non, on l’emmène parce que c’est une prostituée comme toi. On t’embarquera une autre jour. » Rien que d’en parler, j’en ai les larmes aux yeux. J’ai un travail à temps partiel pour lequel je gagne 525 euros par mois, mon loyer me coûte 400 euros et il faut ajouter la nourriture, l’électricité, etc. Avec l’allocation logement de 300 euros, je dispose d’environ 800 euros par mois. Qu’est-ce que je peux faire avec ça ? Je suis donc obligée de venir ici pour compléter et acheter les petits besoins : un manteau ou des chaussures pour ma fille. Je tapine le temps d’avoir 50 euros pour faire mes courses et je repars. Comment ont évolué les rapports avec les clients ?
As-tu l’impression que la LSI a contribué à un changement d’attitude du client ? C’est plus dur qu’avant. Certains clients font du chantage et disent à la prostituée qu’elle ira dormir en garde à vue. Des clients profitent de la situation dans laquelle nous sommes et demandent des rapports non protégés. Certaines n’ont pas le choix et ont besoin d’argent ; dans ces conditions, il leur est difficile de refuser. Mais tous les clients ne sont pas comme ça, beaucoup nous respectent. On a trois sortes de clients : ceux qui viennent pour parler ; d’autres qui viennent pour admirer le corps d’une femme ; ceux qui viennent se soulager et se confier. Je pense souvent aux propos de Grisélidis Réal : « la prostitution est un art ».