Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Rencontre avec une de nos militantes, Sylvana.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ?La date importante pour moi, c’est le 29 décembre 1989, parce que c’est la naissance de ma fille. Elle est séronégative. D’autres dates ?
Je n’ai pas voulu les garder en mémoire, parce que ce sont des moments qui m’ont fait mal, des mauvais souvenirs. En 1987, j’ai accouché d’un garçon, séropo. C’est le premier né. 1989, c’est aussi l’année où j’ai connu ma séropositivité. En 1992, mon fils est mort, du VIH. 1997, c’est la mort de mon mari, il a sauté sur une mine anti-char. Et puis ma date de naissance, le 1er juillet 1962. Je suis fière d’avoir maintenant 43 ans. Qu’est-ce cela t’a fait de savoir que tu étais séropositive ?
Quand j’ai connu ma séropositivité, ça a été comme si le ciel tombait sur moi, j’ai tout de suite vu la mort devant moi. Mais je me disais : « je n’ai pas le droit de mourir avant mes enfants. » J’ai assumé tout ce qui s’est passé autour de moi : la stigmatisation, le rejet des familles et de l’entourage. J’ai perdu des amis, je suis restée seule. Ce sont mes enfants qui m’ont donné la force de vivre, c’est à partir de là que j’ai commencé à être calme. J’ai réfléchi pour voir comment j’allais vivre, gérer la situation. Avant cela, tu avais quel aperçu du sida ?
C’était en 87, on ne savait rien du sida au Burundi. J’ai cherché des informations, en vain. Avant l’annonce de ta séropositivité, comment te protégeais-tu ? Et après ?
Déjà au Burundi, il n’y avait pas de préservatif, on ne parlait même pas de prévention, de sida. Même après, je ne me suis pas protégée. Cela a été un conflit avec mon mari. Je lui ai dit que j’étais séropositive, le médecin m’avait dit de me protéger désormais. Lui a refusé. Je suis restée comme cela, sans protection. Comment s’est passé l’annonce de ta séropositivité ?
Mon fils est né à terme, mais il est né avec un poids de prématuré, 1,60 kg. Et j’avais accouché difficilement, par ventouse. C’est là où on a commencé à suspecter que l’enfant pouvait être infecté. On a laissé passer un peu de temps. Après il a toujours présenté les signes des maladies opportunistes, tous les signes du sida. Au début de ma seconde grossesse, le médecin m’a proposé de faire le dépistage et le résultat était positif. On m’a proposé d’avorter et j’ai eu peur, je croyais que j’allais mourir avec ma séropositivité, je me suis dit : « je vais vivre, il faut que les enfants meurent avant moi. » Je ne voulais pas laisser mes enfants, séropositifs, souffrir après ma mort. J’ai eu le courage et la force de me prendre en charge pour que les enfants ne me perdent pas. Cette période était dure, on a commencé à me stigmatiser. J’ai assumé, pourvu que mes enfants ne le soient pas après leur mère. Je voulais que tout retombe sur moi. Et puis mon fils, après avoir connu beaucoup d’hospitalisations, est mort à cinq ans. Je me suis soulagée : « ok, je viens d’en enterrer un, il reste la fille ». Entre-temps j’ai été malade, j’ai eu la tuberculose et là aussi je me suis dit : « non, je ne veux pas mourir avant que la fille soit morte. » Ce qui m’étonnait c’est qu’elle progressait bien. Ca me mettait mal à l’aise puisque je voulais qu’elle meure avant moi. Il n’y avait pas de médicament à ce moment là. Je commençais à être faible, j’ai alors cherché quelqu’un pour adopter ma fille. Comme ça, je pourrai mourir tranquillement. Cette personne m’a demandé si j’avais fait faire un dépistage à ma fille. J’ai dit : « non, j’ai peur, mais je sais qu’elle est infectée. » Et puis elle m’a expliqué qu’il y avait des cas où des enfants peuvent naître séronégatifs, qu’il faut bien savoir son état sérologique pour que celui qui va l’adopter connaisse son état de santé pour l’accepter, qu’il n’y ait pas de rejet après. J’ai alors fait le dépistage, mais j’ai eu peur de prendre les résultats. Il s’est passé des années sans que j’aille les chercher. Puis, une nuit, ma fille a été gravement malade, elle a eu 39,5° de température. J’ai pleuré et puis j’ai prié. J’ai demandé à Dieu d’avoir pitié de moi, qu’Il puisse guérir ma fille. J’ai dit au Seigneur : « j’ai peur de voir ma fille mourir », alors que je le souhaitais, et puis j’ai pris le Nouveau Testament, je l’ai ouvert par hasard et j’ai lu un passage où « Jésus a guéri l’enfant d’une veuve ». Puis j’ai dit : « cette parole est à moi, tu dois guérir ma fille. » Et comme je suis croyante, j’ai dit : « c’est ma parole, j’y crois. » Le lendemain, je suis allée voir les résultats, j’ai été étonnée, ils étaient négatifs. Ce qui m’a amenée à avoir encore de la force puisque je ne voulais pas la laisser orpheline. J’ai dit : « maintenant, Seigneur, puisque tu me donnes cette enfant, je ne veux pas mourir avant qu’elle ne soit majeure, qu’elle puisse se prendre en charge. » Cela a été mon objectif pendant ma période de maladie. A chaque fois que je tombais malade, je me disais qu’il n’était pas encore temps, que j’allais me réveiller, que j’allais vivre. Raconte-nous ton premier entretien avec ton/ta médecin traitantE.
En voyant le regard que la société avait sur moi et la lutte que j’avais en moi, j’ai choisi un médecin traitant. Je me suis ouverte à elle, je lui ai dit que c’était un secret, qu’elle me soigne, que je lui dise tout ce que je veux, tant que je veux. C’est le docteur Marie-Josée Mbuzenakam. Elle a été ma confidente. Elle m’a beaucoup aidée dans mon parcours, à chaque problème, même banal, je courais vers elle. C’était la seule personne qui me comprenait, et c’est elle qui m’informait de tout ce qui se passe sur le VIH. As-tu déjà pris un traitement antirétroviral ?
Oui. Comment s’est passé ta mise sous traitement ?
Après la mort de mon mari, j’ai eu une rechute remarquable. Mes T4 sont tombés jusqu’à 94. Mon médecin m’a dit qu’il était temps de prendre les antirétroviraux. Je n’avais pas de moyens, les antirétroviraux étaient très, très chers, et il n’y avait que les bithérapies. J’ai vendu ma maison et tout ce que j’avais. Je l’ai fait en cachette, puisque la belle-famille voulait s’y opposer. Je tenais à ma parole de vivre longtemps jusqu’à ce que ma fille soit majeure. Cela a été un combat très, très difficile. Ma belle-famille et ma famille disaient que j’étais égoïste, qu’il fallait que je meure et que la maison reste pour l’enfant. Ma philosophie était que ma fille devait plutôt perdre « la richesse » plutôt que sa mère. Après, Dieu m’a aidée. Avant que l’argent soit épuisé, j’ai été engagée à l’ANSS (Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et Sidéens), en tant qu’assistante sociale. A partir de là, l’association me payait les antirétroviraux, et j’ai commencé à remonter. J’ai contracté un crédit à cette association pour recommencer la vie à zéro. J’ai eu une parcelle de terre, mais malheureusement je n’ai pas construit. J’ai été envoyée en mission aux Solidays et j’ai été gravement malade au cours de ma mission en France. Je suis arrivée le 30 juin 2004 et j’ai été hospitalisée vers le 7 juillet. On a trouvé que j’avais un CMV, les CD4 étaient à 24, et la charge virale de 500 mille copies. Je ne pouvais pas rentrer puisque je devais reprendre des médicaments, et faire de la rééducation – à ce moment-là, je ne marchais pas. J’étais gravement malade. Parle-nous de cette première hospitalisation en France.
Quand j’ai été admise, je n’avais pas l’AME, puisque je n’avais pas trois mois de présence en France. J’ai été prise en charge par les associations, Solidarité sida et APA. La médecin était gentille, je ne la voyais que sur rendez-vous. Les médicaments, je devais les prendre à l’hôpital, et s’il n’y en avait pas, c’était les associations qui les payaient. Et puis la médecin qui avait pitié de moi et savait que je n’avais pas l’AME, pas de ressources, m’a prescrit des médicaments moins chers mais inefficaces. A la place du Rivotril et du Laroxil, ce fut de l’Aspegic, pour calmer les neuropathies. Ca n’allait pas du tout. Et comme j’étais informée, je savais que ça ne convenait pas, je n’ai pas pris cet Aspégic. Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositive ?
C’est voir tout basculer autour de soi. C’est une lutte quotidienne pour la survie, un repli sur soi. On n’est plus épanouie, on n’a plus la joie de vivre et on n’a plus de projets… Quand je suis arrivée en France, on m’a changée de traitement : Kaletra et Trizivir. J’ai eu du mal à m’adapter à ce traitement, j’avais tout le temps des diarrhées, mais je me suis accrochée car je n’avais pas d’autre choix. Au bout de quelques mois, j’ai eu d’autres effets secondaires, des boutons d’acné ou d’eczéma, je ne sais pas, j’ai eu aussi de la lipodystrophie, avec le ventre qui enfle, et des neuropathies, qui persistent toujours. C’est une douleur qui fait si mal qu’on ne peut pas dormir. Et puis aux yeux, j’avais toujours des conjonctivites. Bientôt, je vais faire les examens de neurologie et éléctro-miogramme, comme ça je saurai ce qui se passe pour mes neuropathies. Quant à la lipodystrophie, j’attends les résultats. Tout cela m’énerve tellement. As-tu déjà souffert de discriminations ?
Au Burundi, oui. En France aussi. J’ai révélé ma séropositivité à une dame qui me demandait pourquoi je prenais autant de médicaments. Quand je lui ai dit que j’étais séropositive, elle a eu peur et depuis elle m’a pris comme son ennemie. J’ai été herbergée dans un foyer où on est deux par chambre. Deux fois, les personnes avec qui je devais vivre ont fui quand elles ont appris que j’étais séropositive. On m’a proposé une chambre individuelle à cause de ça. Mais je ne les condamne pas, je trouve qu’ils, elles sont ignorantEs des modes de transmission du VIH. Comment vois-tu l’avenir moléculaire ?
Je suis optimiste, puisque je vois qu’il y a des mobilisations sur la recherche. Est-ce qu’être différente t’a posé des problèmes ?
Oui au départ. Mais aujourd’hui le fait d’être séropositive ne me freine plus puisque j’ai commencé à me battre depuis 87. Je suis habituée à me battre face au VIH. Aujourd’hui, ta fille vit avec toi ?
Non, malheureusement, elle est au Burundi. Mais je souhaite pouvoir vivre avec elle. C’est elle qui me donne la force et le courage de vivre. Dans dix ans, tu te vois comment ?
J’aurai 53 ans. Je me vois comme une femme qui a gagné un combat, ma fille ne dépendra plus de moi. Qu’est ce que tu dirais à unE séronegatifVE sur le fait d’être séropositive ?
Je dirais que tant qu’on est vivantE on ne sait pas ce qui peut arriver aux personnes, qu’il ne faut jamais condamner ou rejeter une personne parce qu’ elle a eu tel ou tel problème, ou marginaliser quelqu’unE parce qu’il, elle, est malade, parce qu’on ne sait pas ce qui peut attendre chacunE. Et puis, Il y a deux mondes, celui des séropositifVEs et celui des séronégatifVEs. J’ai appris à marcher selon mon VIH. On ne vit plus comme avant, on adopte un autre comportement, on ne vit plus comme les autres, on change radicalement.