Depuis plus d’un an, nous dénonçons les pratiques irrégulières de certaines préfectures
et l’augmentation croissante des refus de séjour à l’encontre des malades étrangèrEs.
Nous revenons aujourd’hui sur les mécanismes qui ont pu produire une telle situation et sur les conséquences immédiates des derniers discours de Nicolas Sarkozy.
L’asilification du droit au séjour pour soins
Il s’agit là d’un mécanisme identifié par le Comede[[Comité médicale pour les éxilés : créé en 1979, le Comede accueille demandeurSEs d’asile et étrangèrEs en séjour précaire pour une prise en charge médico-psycho-sociale.]] , qui a forgé ce néologisme sur le modèle de l’évolution du droit d’asile. Ce constat que nous partageons est clair : plus le nombre de demandes augmente, plus le taux de refus est important. Concrètement, cela s’accompagne d’une lecture de plus en plus restrictive des critères légaux. En matière de régularisations pour soins, ce phénomène est perceptible dans les avis médicaux rendus par les médecins inspecteurs et inspectrices de santé publique et à Paris par Claude Dufour, médecin chef de la préfecture de police. Tout se passe comme si, pour ces médecins, une augmentation des demandes ne pouvait s’expliquer que par une augmentation des « demandes infondées », entraînant une plus grande sévérité dans l’appréciation. CertainEs médecins donnent donc des avis défavorables parce que l’état de santé des malades ne nécessiterait pas encore de traitement, ou que le risque de mortalité ne serait pas immédiat, et argumentent sur l’hypothétique présence des traitements dans les pays du Sud, sans s’assurer ni de l’accès effectif pour l’intéresséE, ni d’une prise en charge globale. Ce mode de raisonnement doit évidemment beaucoup aux discours fantasmatiques de Nicolas Sarkozy qui a toujours vu dans les étrangèrEs des fraudeurSEs.
La rhétorique des flux migratoires et
la politique des quotas
À ce climat de suspicion des médecins, s’ajoutent aujourd’hui des consignes données aux préfets par le ministre de l’Intérieur. Depuis son retour à ce poste, Nicolas Sarkozy s’est prononcé à de nombreuses reprises contre une immigration qui serait « subie » et dont les causes seraient les possibilités de régularisation de plein droit de certaines catégories d’étrangèrEs et plus particulièrement la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ». Les quotas qu’il préconise devraient limiter le nombre de titres de séjour délivrés pour chacune des catégories. Qu’importent alors la situation médicale des malades étrangèrEs et les risques qu’elles et ils encourraient dans leur pays d’origine : le nombre de titres de séjour pour soins délivrés annuellement ne devrait pas excéder un certain seuil. Ou plutôt ne doit pas excéder un certain seuil, car en 2005, les statistiques font loi et tout démontre que des consignes claires ont été données aux préfectures.
La préfecture de Lyon, par exemple, a récemment refusé le séjour à plusieurs séropositifVEs ou malades du sida et leur a demandé de quitter le territoire, alors qu’elles et ils avaient obtenu un avis favorable de la part du médecin inspecteur de santé publique. Officiellement, la préfecture a prétendu que ces personnes ne pouvaient apporter la preuve de leur résidence en France, ou qu’elle avait des doutes sur leurs justificatifs d’identité. Interpellé par le Collectif santé étrangers Rhône[[Ce Collectif réunit les associations : AIDES, CIMADE, Forum Réfugiés, Entr’Aids, Migrations Santé Rhône-Alpes, Médecins du Monde, Mouvement Français pour le Planning Familial et le Relais Santé Mutualité du Rhône.]], Jean-Pierre Lacroix, le préfet, a affirmé qu’il ne prendrait pas de mesure d’éloignement contre ces malades qui risquaient leur vie dans leur pays d’origine, mais qu’il refusait de leur délivrer un titre de séjour pour faire baisser des chiffres qu’il jugeait mauvais. L’avocate de la préfecture, Me Dominique Schmitt, reprendra la même argumentation lors de l’audience devant le juge des référés après le recours formé par une de ces malades. Après avoir rappelé la progression du nombre de demandes, elle a expliqué benoîtement qu’« il n’est pas question de renvoyer cette femme à la mort […]. Mais il faut bien réguler et trancher en fonction des éléments qui nous sont communiqués ».
Qu’il s’agisse du processus d’asilification ou de politique des quotas, dans les deux cas, ce qui est à l’œuvre c’est une remise en cause du principe du droit au séjour. Il ne s’agit plus d’étudier les raisons qu’ont les étrangèrEs de résider en France, mais d’une part, de restreindre arbitrairement les critères d’évaluation face à la montée en charge du système, et, d’autre part, de ne prendre en compte les prétendus intérêts de la France. Si, depuis des années, nous dénonçons les critères trop restrictifs qui font du droit au séjour une machine à fabriquer des sans-papièrEs, ce qui se profile dans les discours du ministre de l’Intérieur nous fait craindre le pire : un arbitraire érigé en système au profit d’un utilitarisme économique. Cette politique conduira immanquablement des étrangèrEs malades vers la mort.