Le dossier publié dans Protocoles 45 sur le vaccin anti-papillomavirus a été allégé de passages complexes. Considérant ces textes comme une participation à la montée du savoir, nous les publions ici.
HPV : mode d’emploi
Les HPV sont des virus à ADN de la famille des Papoviridae. C’est cet ADN qui définit le type de HPV. On parle plutôt de génotypes pour signifier qu’ils se distinguent les uns des autres par la séquence génétique de l’ADN qu’ils contiennent. Cet ADN double brin et circulaire est englobé dans une capside et non une enveloppe comme pour le VIH, par exemple. L’ADN des HPV peut s’intégrer au génome de la cellule hôte. C’est par exemple le cas dans les lésions cancéreuses. Une cellule infectée produira de nouvelles particules virales d’une part en copiant cet ADN et, d’autre part, en le convertissant en ARN messagers qui serviront à produire les protéines virales. Ces dernières vont constituer, entre autres, la capside protectrice du virus.
Cette capside est constituée de deux protéines dites tardives appelées L1 et L2 (L pour late en anglais, soit tardif). Il existe en fait deux jeux de protéines produites par les HPV. En plus des deux protéines tardives, il y a sept protéines dites précoces, dont les plus étudiées sont les protéines E6 et E7 (E pour ‘early ‘ en anglais car ce sont les premières à être produites dans la cellule infectée). Celles-ci joueraient un rôle en diminuant, voire en supprimant, la réponse immune vis-à-vis de la cellule infectée, mais aussi en modifiant la régulation de la division de la cellule infectée, ce qui peut être à l’origine du pouvoir cancérigène des HPV. Les mécanismes liés aux HPV qui conduisent à la formation des cancers ne sont pas encore parfaitement connus. Les autres protéines précoces permettent la transcription de l’ADN viral et la réplication du virus (E1 et E2) ou déstabilisent la cellule épithéliale en jouant sur des protéines cellulaires structurales, des cytokératines (E4) ou bien en changeant son programme de réponse à des facteurs locaux assurant la croissance (E5). Les protéines tardives peuvent ne pas être exprimées pendant longtemps, quand les virus HPV restent à l’état latent et qu’il n’y a pas de signe clinique d’infection. S’il n’y a pas régression, le tissu infecté évolue alors vers des verrues ou les dysplasies précancéreuses.
HPV : vie chez l’hôte infecté
Tissus infectés
Toutes les cellules épithéliales ne sont pas infectées par les HPV. Il s’agit en fait des cellules qui forment la partie basale des épithéliums que l’on appelle malpighiens. Un épithélium malpighien présente plusieurs couches de cellules, chacune arrangée comme des pavés, d’où l’autre terme utilisé : épithélium pavimenteux stratifié. Parmi les différentes strates, ce sont les cellules du bas, appelées basales, qui vont être infectées, soit les moins accessibles. C’est la micro-abrasion de l’épithélium de la peau ou des organes génitaux (lors des contacts sexuels) ou bien l’introduction d’un corps étranger (une épine par exemple) qui peuvent faciliter l’entrée en contact des cellules basales avec les particules virales extérieures.
Devenir du virus dans les tissus infectés
Dans les épithéliums malpighiens, les cellules basales se multiplient et se déplacent alors vers les strates supérieures où elles arrêtent de proliférer et entament un programme de spécialisation (on parle de différenciation). A terme, ces cellules différenciées vont être éliminées et remplacées par de nouvelles cellules car le processus est constant. L’élimination se fait par desquamation (ce sont les peaux mortes par exemple). Les détails de ce processus de renouvellement sont importants à connaître pour comprendre comment les virus HPV se reproduisent et sont transmis. En effet, dans la cellule basale, la seule à pouvoir être infectée dans l’épithélium, un nombre limité de copies de l’ADN va être produit. Elles seront transmises, comme l’ADN de la cellule hôte, à la descendance de la cellule infectée jusqu’au processus de différenciation. Initialement, il n’y a pas de particules virales formées (car les protéines tardives L1 et L2 ne sont pas exprimées). Ce n’est que lorsque la cellule basale entame le processus de différenciation dans les couches supérieures que les particules sont formées (les protéines dites tardives sont alors exprimées, d’où l’emploi de ce terme). Le virus qui se réplique sous forme de virions (particules virales complètes) se trouve alors à la surface du corps dans des cellules qui vont être détruites naturellement par éclatement (ou lyse) de la cellule.
Les particules virales HPV sont donc libérées de la cellule infectée lorsque celle-ci est détruite. Le virus est alors susceptible d’être transmis vers un autre site par contact (auto-inoculation ou infection d’une autre personne). Parce que ce sont des épithéliums de la surface corporelle qui sont majoritairement infectés, il n’y aura pas de particules virales qui vont être relarguées dans l’organisme (dans le sang par exemple).
Le cas particulier des infections respiratoires
Cependant des HPV peuvent infecter de façon récurrente l’intérieur de l’organisme dans les voies aérodigestives supérieures. Il s’agit des HPV de type 6 et 11 qui non seulement sont associés aux verrues génitales, mais aussi à l’apparition des papillomatoses respiratoires récurrentes, une pathologie souvent juvénile, agressive et invalidante, parfois fatale, qui se manifeste par l’apparition de tumeurs bénignes qui poussent rapidement et peuvent obstruer les voies respiratoires au niveau du larynx. Cette pathologie rare concerne à la fois les jeunes enfants (majoritairement pendant les quatre premières années) et les adultes (avec un pic d’émergence entre 21 et 30 ans). Elle nécessite de multiples interventions chirurgicales (abrasion laser) pour enlever les lésions (jusqu’à cent fois chez les enfants avec une pathologie sévère). Il existe des traitements non chirurgicaux (dits adjuvants comme des injections de l’antiviral cidofovir) pour cette pathologie, dont certains à l’étude comme un vaccin thérapeutique. Chez l’enfant, l’infection résulte d’une contamination à la naissance par contact avec les zones infectées du tractus génital de la mère.
Transmission des HPV
Transmission non sexuelle des HPV
Une telle transmission est possible chez le nouveau-né et l’enfant. Cela est assez peu fréquent et l’infection est rarement persistante. Dans le premier cas, la transmission peut avoir lieu au moment de l’accouchement par contact direct (au cours de la délivrance vaginale, d’une césarienne ou lors d’une rupture précoce des membranes, lors des soins au bébé et peut-être par la salive ou le lait maternel) ou indirect (objet ou surface contaminés pendant l’accouchement). Une contamination in utero est envisageable (au travers du placenta et par remontée le long du tractus génital féminin). Chez l’enfant, la contamination en divers sites peut provenir d’une auto-inoculation ou d’un contact avec une autre personne ou des surfaces ou objets contaminés. Une autre source possible d’infection chez l’enfant est lors d’un abus sexuel.
Facteurs affectant la transmission d’un virus HPV
Du fait des régressions et de la durée de développement des lésions dues aux HPV, l’étude de la transmission est complexe. Du moins pour les HPV donnant naissance à des verrues génitales, on a pu montrer que 60 % des partenaires d’une personne infectée développeront aussi des verrues. La probabilité de transmission par acte sexuel avec pénétration varie de 5 à 100 % selon les études et simulations (valeur médiane de 40 %), ce qui est dans l’ordre de grandeur des infections des maladies sexuellement transmissibles d’origine bactérienne (chlamydia à 20 %, gonorrhée à 50 % et 60 % pour la syphilis) et nettement plus important que pour des infections virales de type herpès par exemple (0,1 % pour le virus herpès simplex 2 HSV-2).
Quelques chiffres complémentaires d’épidémiologie
Au niveau mondial, 291 millions de femmes seraient porteuses de HPV dont 105 millions infectées par les types à haut risque, les HPV-16 et 18. Les chiffres de 2002 indiquent que 5,2 % des cancers mondiaux étaient associés aux HPV, soit plus de 560 000 cas : séparés entre pays dits développés (PDD) et en développement (PED), ces chiffres étaient respectivement en 2002 de 2,2 % des cancers totaux dans les PDD, soit 111 500 cas et 7,7 % dans les PED, soit 449 600 cas. Les cancers du col qui sont associés à 100 % aux HPV représentaient 4,5 % des cancers mondiaux en 2002, soit 492 800 cas (274 000 décès en 2002). Ce pourcentage est plus important dans les PED (7 % des cancers totaux) que dans les PDD (1,7 %). Toujours en 2002, les cas de cancers anogénitaux et ceux de la bouche et du pharynx associés aux HPV représentaient 53 900 (27 400 cancers de l’anus, 16 000 de la vulve ou du vagin et 10 500 du pénis) et 14 500 cas, respectivement, avec des différences moins marquées entre PDD et PED que pour le cancer du col.
Compléments sur les vaccins préventifs anti-HPV et leurs effets
Vaccins de première génération
Les vaccins anti-HPV mentionnés dans cet article sont constitués par une des protéines de la capside, la protéine L1. Celle-ci est produite séparément dans un organisme – comme une levure par exemple – et non purifiée à partir de particules virales complètes. Les protéines L1 ainsi obtenues se regroupent et forment une structure semblable à la capside native des HPV, malgré l’absence de protéine L2. Les vaccins anti-HPV sont produits à partir de telles particules incomplètes – c’est-à-dire qu’elles ne contiennent pas l’ADN et ne peuvent donc pas être amplifiées comme le virus natif. Dans cette conformation, les sites antigéniques susceptibles d’éliciter une réponse immune chez la personne recevant le vaccin sont présentés quasiment comme dans le virus complet.
Incidemment, les protéines L1 et L2 ne sont pas exprimées à la surface des cellules infectées. Ces cellules ne seront donc pas reconnues comme étrangères et éliminées efficacement par le système immunitaire après vaccination. Ce type de vaccination n’est donc a priori pas thérapeutique. Par contre, les anticorps produits contre ces protéines pourront arriver à proximité des cellules susceptibles d’être infectées et piéger ainsi les particules virales qui sont recouvertes de protéines L1 et L2 pour les empêcher de rentrer dans ces cellules pour les infecter. En effet, pour les vaccins préventifs, il s’agit d’empêcher le virus d’entrer dans les cellules.
Si les protéines tardives ont été choisies comme immunogènes pour les vaccins préventifs, ce sont les protéines précoces E6 et E7 qui sont à l’essai actuellement pour les vaccins thérapeutiques pour les lésions précancéreuses ou cancéreuses au niveau du col.
Réactions croisées des vaccins de première génération
Ce qui distingue un HPV d’un autre est la séquence de son ADN. Celui-ci permet en particulier la production par la cellule infectée des protéines de la capside qui protège cet ADN dans les particules virales libérées à la surface de l’organisme. Certains HPV ont des séquences d’ADN suffisamment proches pour que leurs protéines de capside se ressemblent. Après vaccination, il peut donc y avoir une protection dite ‘croisée’ contre des HPV non ciblés initialement.
Ainsi les HPV 16 et 18 retrouvés dans 53.5 et 17.2% des cancers du col de l’utérus ressemblent, respectivement, aux HPV 45 et 31, aussi à haut risque et présents dans 6.7 et 2.9% des cas. Une étude rapporte effectivement une protection croisée du vaccin GSK anti-HPV 16 et 18 vis-à-vis du HPV 45. L’amplitude de la réponse croisée n’est cependant pas garantie comme aussi efficace que vis-à-vis des HPV initialement ciblés (les taux d’anticorps produits sont moindres).
Vaccins de seconde génération
Le choix pour des vaccins futurs pourra se porter sur la protéine L2 des HPV comme antigène. Des données obtenues chez l’animal suggèrent que cette protéine induirait une réponse immune croisée entre HPV plus large que celle induite par la protéine L1 utilisée dans les vaccins préventifs évalués à ce jour. Un vaccin à base de protéines L2 pourrait donc être efficace pour cibler les nombreux autres HPV rencontrés plus fréquemment chez les personnes VIH+.
Influence des vaccins sur la gamme d’infection aux HPV et résistances éventuelles
La vaccination ne semble pas entraîner une redistribution des infections à HPV, un risque a priori possible. A ce jour, les personnes vaccinées n’ont pas eu de changement en terme de gamme d’infection par des HPV non ciblés.
Enfin, contrairement au VIH qui convertit son patrimoine génétique de type ARN sous forme d’ADN par son propre système (la transcriptase inverse virale qui permet des erreurs), la réplication du patrimoine génétique des HPV, qui est de type ADN, s’effectue sous le contrôle de la cellule infectée (par des ADN polymérases cellulaires). Comme pour la réplication de son propre ADN, la cellule assure ainsi une grande fiabilité de copie sans erreur. Ceci limite donc l’émergence spontanée de mutants HPV. Un échappement immun après vaccination est donc peu probable à terme.