Le Conseil National du Sida (CNS) vient de publier un avis sur l’intérêt du traitement en matière de prévention. Très attendu, cet avis mesuré fait suite à la publication l’année dernière d’un avis de la Commission fédérale Suisse pour les problèmes liés au sida qui avait déclenché une vive polémique internationale sur laquelle les associations avaient demandé une prise de position.
Intégrer le traitement à la prévention : un bénéfice collectif
L’avis du CNS met l’accent sur l’intégration du traitement antirétroviral dans les politiques publiques de prévention. Le bénéfice qui en est attendu est essentiellement populationnel et suppose une incitation et un recours accrus au dépistage. Mais il réaffirme clairement que le seul traitement ne saurait remplacer le préservatif au niveau individuel. À ce propos, il rappelle que la prise d’un traitement antirétroviral et une charge virale indétectable dans le sang ne permettent pas d’écarter le risque de transmission du virus du sida. Le traitement est dès lors considéré comme un moyen complémentaire au préservatif dans les politiques de prévention.
En ce sens, l’avis du CNS renforce la responsabilité des pouvoirs publics – qui devront réussir à faire entendre un message plus complexe basé sur la complémentarité des moyens. Dans un contexte de baisse de l’investissement dans la lutte contre le sida, nous attendons qu’ils en tirent les conséquences.
Confondre traitement et prévention : un risque collectif
Si l’utilisation du traitement et l’incitation au dépistage peuvent contribuer à enrayer la diffusion de l’épidémie, le bénéfice afférent risque en revanche d’être contrecarré par une modification des comportements, comme le suggère une publication récente au sujet des gays aux Pays-Bas[[
Bezemer, D., et al. (2008). A resurgent HIV-1 epidemic among men who have sex with men in the era of potent antiretroviral therapy. [AIDS, 22(9), 1071-7. ->
http://journals.lww.com/aidsonline/Abstract/2008/05310/A_resurgent_HIV_1_epidemic_among_men_who_have_sex.9.aspx]
]]. Cet avis ne saurait donc en aucun cas être compris comme le signal d’un abandon possible du préservatif.
Précisons que cet avis ne porte pas sur l’évaluation de l’efficacité du traitement en matière de réduction de la transmission individuelle du VIH/sida. Il n’est donc pas possible de prétendre qu’il confirme l’avis publié par les Suisses l’année dernière.
On peut donc regretter le manque de cadrage de cet avis en ce qui concerne le bénéfice-risque du traitement en matière de transmission sexuelle. De nombreuses questions déterminantes sont en effet passées sous silence, comme les distinctions entre populations (gays, hétéro, migrants)[[
Wilson D, (2008). “Know your epidemic, know your response”: a useful approach, if we get it right. [The Lancet, 372 : 423-426. ->
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(08)60883-1/fulltext]
Stürmer, M., (2008). Is transmission of HIV-1 in non-viraemic serodiscordant couples possible?. [Antiviral Therapy, 13(5), 729-32.->
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18771057]
]], entre partenaires occasionnels ou réguliers, selon leur statut sérologique ou la question des Infections Sexuellement Transmissibles (IST), ou encore celle de la charge virale rectale[[
Zuckerman, et al. (2004). Higher concentration of HIV RNA in rectal mucosa secretions than in blood and seminal plasma, among men who have sex with men, independent of antiretroviral therapy. [The Journal of Infectious Diseases, 190(1), 156-61.->
http://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/421246]
]].
Un avis mesuré, des recommandations simplistes
Au final, au regard de son avis mesuré, les recommandations avancées par le CNS nous paraissent relativement simplistes.
Quand le CNS évoque une bonne information sur les limites du traitement en matière de réduction de l’infection, il l’imagine sans doute de la meilleure façon. Mais comment garantir la diffusion d’une information fiable sur une question qui reste largement en débat et comment s’assurer qu’elle soit bien comprise alors même que les politiques de prévention restent largement déficientes en France ?
On s’étonne en particulier que parmi les recommandations, aucune ne concerne réellement le suivi de l’évolution des comportements pourtant déterminant pour l’efficacité de la nouvelle politique de prévention que prétend promouvoir le CNS.
Surtout, ne minimisons pas le risque de voir les pouvoirs publics et les acteurs associatifs délaisser, dans un pari hâtif, la dimension comportementale de la prévention au profit d’une stricte approche de santé publique, qui subordonnerait le risque individuel au risque collectif.
Pour nous séropositifs, l’espoir de ne plus présenter un jour un risque potentiel pour nos partenaires est immense. Mais nous n’oublions pas que ce risque est pour autrui et qu’il reste encore impossible de l’écarter sans préservatif, même avec une charge virale indétectable.