Séronet au départ c’est une belle idée, développée aux USA et mise en oeuvre en France sur une petite échelle par des bénévoles. Son but : créer un réseau internet qui permettrait aux séropositifVEs, souvent isoléEs, d’échanger les unEs avec les autres ; et accessoirement leur diffuser de l’information. La réalité n’est pas aussi généreuse.
Formellement, Séronet est un très bel outil, partant sur de bons principes. Même pour les citadinEs : le sida est un facteur d’isolement, de rejet, de replis sur soi… Mais quand on vit en province, isoléE dans un village, la solitude, l’impression de ne pouvoir se confier à personne, la peur du rejet peuvent être encore plus pesantes, et un réseau d’échange où des personnes discutent de leurs expériences dans un anonymat encourageant peut être vital. Sur Séronet, une personne qui vit avec le sida depuis vingt ans peut réconforter unE nouveau ou nouvelle contaminéE. Sur des forums il suffit de demander « y a-t-il des problèmes quand on mélange le Sustiva® et le Lithium ? » pour que très vite la conviction qu’il vaut mieux éviter ce cocktail s’impose. Des amitiés se créent entre ratEs contaminéEs des champs et souris plombées des villes.
D’une science occultée aux sciences occultes
Bravo Séronet ! L’ennui c’est que la coordination de Séronet vous impose à tout bout de champs l’étude des médecins suisses comme un dogme religieux où Hirschel serait un maître à vénérer. En dénigrant les chercheurEs qui la remettent en question, et surtout sans expliquer que cette étude basée sur des couples hétérosexuels stables n’est pas applicable aux homosexuelLEs (chez qui la fréquence du multi-partenanriat et la pénurie de documentation sur la charge virale anale ne permettent pas, actuellement, une extrapolation de l’étude suisse), on se retrouve à fréquenter un site qui occulte la vérité, jusqu’à diffuser dangereusement de fausses croyances.
Quand au hasard d’un message de la coordination, on apprend que 20 % des inscritEs sur Séronet se savent co-infectéEs par le VHC, on n’en tire aucune déduction : le préservatif préserve aussi du VHC.
Très vite on a l’impression que d’un espace d’échange entre séropos on bascule à un site pris d’assaut par des partisanEs du No-Kpote : est-il alors raisonnable de financer un réseau pour expliquer aux séropos qu’il est mieux de baiser sans préservatif ? Sous prétexte de non-jugement on glisse à l’incitation aux pratiques à risques. Et surtout on ne fait aucune différence entre les risques que l’on peut prendre soi-même et ceux/celles qu’on ferait prendre aux autres.
Et jamais de recadrage quand scientifiquement ça dérape, quand quelqu’unE écrit que la fellation ne comporte aucun risque, quand une dénialiste raconte que c’était les médicaments qui la rendait malade, pas le sida, et qu’il faut arrêter de prendre les traitements. A vous d’aller sur Séronet et de vous en faire une idée…
Vous avez dit censure ? Madame, veuillez modérer vos propos, s’il vous plaît !
L’autre problème c’est la censure, pardon, la « modération ». Elle est codifiée par une « charte » écrite en jargon internet à coup de « troll » (un message répétitif agressif), « d’effet Godwin » et de « flood » (message obstruant).
La modération s’exerce sans aucune instance régulatrice extérieure, avec quelques permanentEs (loin d’être tous séropos). Elle déplace des paragraphes, elle en oblitère. L’usagerE n’a qu’un seul droit : se taire. Et s’il/elle ronchonne : hop ! exclusion ! On est loin d’une régulation des échanges où insultes et attaques personnelles seraient évitées. La censure y est idéologique.
Essayez-vous d’y écrire qu’unE Séronaute avec une force vitale manifeste est « Nietzchéen », on vous retire la phrase. Vous vous insurgez, on vous bloque un mois, ou mieux, définitivement… Et c’est deux poids deux mesures. Une allusion au slogan de 68 « jouir sans entrave » vous est censurée car elle est devenue la « signature » d’un Séronaute aguerri. Le mot n’est pas adéquat : ce n’est pas sa « signature » c’est sa « devise » (une devise bien loin des idéaux humanistes de 68). Tout allusion à « jouir sans entrave » est devenue une attaque personnelle. Mais au même Séronaute de publier des phrases haineuses sur Didier Lestrade accessibles à touTEs — chaque post est en effet référencé par les robots des moteurs de recherche de la toile — en le nommant, et la modération ne s’en formalise pas.
Évidemment quand on est membre d’une association parisienne, en relative bonne santé, être excluE par la modération de Séronet, c’est un épisode comique, presque un honneur. Pour une personne malade et isolée, ça l’est moins. C’est là que le caractère despotique de cette censure est insupportable et pose sérieusement question.