Militant d’Act Up-Paris, pédé, usager de drogues, malade du sida co-infecté à l’hépatite C, Gérald Sanchez est mort d’un infarctus, ce lundi 7 février. Ses problèmes cardiaques étaient entre autres liés à sa séropositivité et aux effets indésirables des traitements. Il était par ailleurs affaibli par un cancer qui s’était développé, malgré la rémission de l’hépatite virale. Après un infarctus en août, Gérald avait dû faire face à de graves dysfonctionnements dans la prise en charge de ses problèmes cardiaques, ce qui l’avait amené à consulter non plus à l’AP-HP, mais dans une clinique privée. Ces difficultés de prise en charge ont retardé des interventions pourtant indispensables. Celles-ci n’ont pas permis d’éviter le pire. Dans la nuit de dimanche à lundi, il s’est senti oppressé et a alerté les secours, qui n’ont pas pu le sauver.
Famille choisie
Nous nous joignons à sa famille et à ses proches et partageons leur douleur. Nous étions aussi sa famille, une famille choisie, et Gérald avait tout du grand frère ou de la tata rêvéE. Son savoir-faire de régisseur de spectacles a permis l’organisation d’actions d’ampleur. La fermeture de l’usine Schering Plough ou l’immense banderole « Homophobes » sur le Palais de Chaillot pour accueillir la manifestation anti-PaCS, puis son redéploiement lors du discours de Christine Boutin au Zénith, n’auraient pas été si grandioses sans lui. En plus d’être un militant acharné, associant colère et parole à la première personne à une expertise scientifique inattaquable, Gérald savait aussi être à l’écoute de chacunE d’entre nous, prodiguer des conseils en matière de relations humaines, d’addictions, de prises de traitements [[Voir son portrait publié dans Action en 2006 ]]. Il était aussi la preuve vivante, nos nerfs s’en souviennent encore, que l’on peut être intellectuellement très rigoureux, et dans la vie quotidienne très désorganisé… Zap Shering Plough, le 6 novembre 1998 : Gérald est la 2e personne assise en partant de la gaucheLa répression tue
Arrivé à Act Up-Paris en 1997, Gérald rejoint la commission Drogues et Usages. Il y milite pour l’abrogation de la loi de 1970 qui pénalise la consommation de stupéfiants et sa présentation sous un jour favorable. Il revendique une amélioration de la réduction des risques, en imposant aux professionnelLEs le point de vue des usagerEs et de l’auto-support. Devenu coordinateur du pôle Santé/répression de l’association, il travaillera à établir des liens entre les minorités et les populations discriminées, et de fait exclues du système de soins : sans-papierEs, usagerEs de drogue, travailleurSEs du sexe, prisonnierEs, etc.Co-infection, éducation thérapeutique et nombre de signes
A la fin des années 1990, alors que le monde de la lutte contre le sida doit s’adapter au changement radical causé par les trithérapies, Gérald est l’un des rares à poser la question de la prise en charge de la co-infection VIH/hépatites. Il contribue à faire en sorte que la recherche publique se penche sur le sujet, à faire dialoguer les acteurs et actrices de la lutte contre les deux maladies, qu’ils-elles soient associatifVEs ou institutionnelLEs. Il représente les personnes co-infectées au sein du groupe de travail de l’ANRS. Au milieu des années 2000, Gérald s’attaque à la question de l’éducation thérapeutique : de formations en séminaires, il s’introduit dans les interstices de la démocratie sanitaire et des relations malades / médecins afin que l’éducation thérapeutique soit autant celle des malades que des professionnelLEs de santé. C’est d’ailleurs ces questions qui sont au coeur du dernier texte qu’il a écrit pour le numéro de notre revue Action qui sortira à la fin du mois. Son texte porte sur les flous de la notion de « guérison » de l’hépatite C, les faux espoirs qu’une annonce maladroite peut susciter, et interpellait malades, médecins et institutions. Aux responsables de notre revue qui attendaient un texte deux fois moins long pour la maquette, Gérald a écrit : « Je ne vois pas comment traiter ça de manière si brève hélas », preuve qu’il s’agissait pour lui d’un sujet encore trop peu développé.Accès aux nouvelles molécules
Depuis 2010, son combat contre la co-infection VIH / VHC avait pris une nouvelle forme : Gérald était en train de rédiger un guide sur la co-infection. Sous son impulsion, Act Up-Paris a réengagé un rapport de forces avec les laboratoires qui développent de nouvelles molécules contre les hépatites C, mais refusent de les tester et de les mettre à disposition des personnes co-infectées avec le VIH. Nous terminerons cet outil. Nous irons jusqu’au bout de ce combat.Une maladie politique
Gérald n’aurait pas été contaminé si la réduction des risques liées à la consommation de drogues avait massivement été mise en place en France, dès que les modes de transmission du VIH et des hépatites virales ont été connus. Mais les responsables de l’époque ont préféré réprimer l’usage de drogues plutôt que sauver des vies. Etienne Apaire, François Fillon font aujourd’hui les mêmes choix assassins. Nous les combattrons, Gérald peut compter dessus. Gérald n’aurait pas été aussi affaibli par les maladies et leurs traitements si dès les années 90, la recherche s’était intéressée aux usagerEs de drogues et aux co-infectéEs. Mais l’industrie pharmaceutique refuse encore et toujours de faire les investissements nécessaires pour que des populations particulièrement vulnérables soient incluses dans les essais. Femmes, enfants, usagerEs de drogues, trans, co-infectéEs : cela complique les résultats, menace la rentabilité. Résultats : des populations entières prennent des médicaments qui n’ont pas été testés pour elles. Que les laboratoires concernés se le tiennent pour dit : la mort de Gérald ne nous empêchera pas de continuer ce combat vital, bien au contraire. Janssen, MSD, Schering, pour ne nommer que ceux-là : rendez vos médicaments anti-VHC accessibles aux personnes co-infectées, sinon vous les condamnez. Faites-le maintenant ! Nous sommes tristes, et rien ne peut combler ce vide. Nous sommes aussi en colère. Et nous refuserons de nous laisser abattre. Le parcours de Gérald montre les conséquences dramatiques de politiques absurdes sur la vie et la santé des personnes. Il montre aussi que le combat paie et fait évoluer la politique. Nous continuerons donc à combattre, à manifester, à hurler, à faire la fête, à prendre notre pied et à le faire savoir.