Il n’y a qu’une conférence scientifique pour être capable de passer d’un claquement de doigts de la recherche fondamentale cantonnée dans les laboratoires des pays riches dotés des moyens d’investigation dignes de la science fiction à la vraie vie sur le terrain des pays les plus démunis sans cesse confrontés à l’insuffisance de ses moyens. Alors que les grandes découvertes des années 90 sur la réduction de la transmission de la mère à l’enfant peinent encore à atteindre toutes les femmes potentiellement bénéficiaires, des chercheurs déploient des trésors d’avancées technologiques en quête de l’ultime solution : un vaccin.
Jour 1 : Lundi 5 Mars
Jour 2 : Mardi 6 Mars
Jour 3 – Mercredi 7 Mars
Jour 4 – Jeudi 8 Mars
Prévention : entre le rêve de laboratoire et la réalité de l’épreuve du terrain
L’origine de l’utilisation des antirétroviraux en prévention remonte au début des années quatre-vingt-dix avec les expérimentations de réduction de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Dorothy Mbori-Ngacha, Sud-Africaine de l’UNICEF en parle avec ferveur dans cette première plénière ce mercredi.
A travers ses observations et les faits qu’elle déroule, elle transmet surtout sa révolte de constater à quel point aujourd’hui on est encore loin d’une utilisation des techniques connues et d’un accès largement répandu de la prise en charge des mères séropositives. Elle a retracé toute l’évolution de ces techniques en insistant surtout sur les progrès récents, bien entendu.
Mais sa présentation de données des essais et des études épidémiologiques sont à mettre en perspective avec le premier élément de son exposé : l’objectif mondial pour 2015 de l’organisation internationale en matière de sida chez les enfants, à savoir, réduire la transmission de la mère à l’enfant à moins de 5%, réduire le nombre d’enfants nouvellement infectés par le VIH de 90% afin d’atteindre moins de 30.000 contaminations par an, réduire les décès de mères dues au sida de 50%. Un rapide tour d’horizon des données épidémiologiques montre bien que cet objectif concerne à plus de 95% l’Afrique subsaharienne.
Les défis à relever sont de tous ordres, comme par exemple la question de l’accès des femmes à la contraception – 51% de grossesses non désirées en Côte d’Ivoire, 93% en Ouganda – l’inégalité d’accès aux soins, les structures de soins atteignent très difficilement les plus pauvres, même lorsque les soins sont gratuits. Malgré cela, Dorothy Mbori-Ngacha semble confiante en montrant que depuis 5 ans, des progrès considérables ont été réalisés. Elle l’est moins lorsqu’elle explique que cet objectif ambitieux de réduction de la transmission de la mère à l’enfant ne pourra cependant être tenu qu’avec un renforcement conséquent des structures de soins, suffisant pour surmonter les inégalités d’accès aux soins quelles que soient leurs causes.
La CROI est un lieu où l’on sait aisément passer du terrain à la recherche la plus fondamentale. Ainsi, poursuivant la piste ouverte par Dennis Burton lundi en recherche vaccinale sur les anticorps neutralisant ciblant les protéines de surface du VIH, Joseph Sudoroski nous proposait ce mercredi un tour d’horizon des recherches de son laboratoire sur l’analyse de la cible, ces fameuses protéines d’enveloppe du virus, le complexe trimérique GP41 et GP120. La complexité et la variabilité de ces molécules a résisté jusqu’à ce jour aux tentatives d’analyse cristallographiques de leur structure qui constituent pourtant le meilleur standard. C’est pourquoi les chercheurs qui ont tenté de relever ce défi ont dû faire appel à d’autres techniques.
Les premières analyses intéressantes en 2008 ont fait appel à la cryotomographie électronique, une technique consistant à analyser la protéine par coupes successives en microscopie électronique puis à utiliser ces images pour tenter d’en reproduire une représentation tridimensionnelle. Mais la limite de cette technique était avant tout la résolution obtenue, limitée par le nombre de coupes réalisables directement dépendant de la performance des appareils employés, ne permettant d’obtenir qu’une vision assez floue. Joseph Sudoroski et son équipe s’est donc lancé dans une aventure plus ambitieuse pour contourner l’obstacle, consistant à réaliser des photographies des molécules en microscopie électronique puis à recombiner les clichés obtenus sous différents angles pour obtenir une vue tridimensionnelle. L’avantage est que la résolution dépend essentiellement du nombre de vues recombinées, ce qui n’est plus limité par la qualité intrinsèque du matériel. L’utilisation d’un million de photos a ainsi permis d’obtenir une résolution compatible avec l’échelle moléculaire. Ce sont ces analyses qu’il nous a proposé.
Elles permettent pour la première fois de voir à quel point la protéine d’enveloppe est remarquablement faite pour échapper à ses prédateurs, les anticorps. D’une part, elle présente une structure légère très repliée n’exposant que très peu sa surface. D’autre part, sa forme extérieure et sa proximité de la membrane virale font qu’il est difficile pour les anticorps de s’y fixer sans être gênés. Enfin, les sites de fixation les plus intéressants parce que les plus stables, comme le site d’interaction avec le récepteur CD4, sont protégés par de nombreuses structures moléculaires, protéines et carbohydrates, très variables. Ils ne deviennent vraiment visibles que grâce à une déformation de la protéine sous l’effet attractif de sa cellule cible, peu de temps en somme.
Sommes-nous pour autant proches de solutions permettant à la recherche vaccinale de réaliser des progrès décisifs grâce à ces merveilles de technologie ?
Rien n’est moins sûr à entendre les commentaires des uns et des autres dans les couloirs de la conférence. Le VIH reste un défi dans la mesure où les réponses immunitaires susceptibles de l’empêcher d’agir comme les anticorps neutralisants représentent toujours une course de vitesse avec la capacité du virus à produire de nouvelles mutations même au prix de sacrifices de son efficacité et d’échapper ainsi à ses poursuivants si sophistiqués soient-ils. Seules les évaluations réelles des solutions envisagées, des essais cliniques avec des « vrais gens », permettront de savoir qui gagnera la course. Mais si une telle solution efficace émerge, il restera à relever ce qui sera probablement le plus grand défi de la médecine : en offrir l’accès immédiat et universel au monde entier. Un défi qui n’est pas technologique mais simplement humain.